J’ai très mauvaise mémoire des lieux.
Des architectures et des paysages, même de ceux que j’ai aimés, je ne retiens ni les formes ni les couleurs. Des endroits où j’ai passé parfois tant de temps avec plaisir, j’oublie les volumes et les agencements. Même lorsque je fais un effort, que j’observe longtemps et avec attention ce dont j’aimerais me souvenir, cela m’échappe très vite.
De la même façon que je ne retiens presque rien de l’intrigue des films que je regarde, jusqu’aux scènes les plus marquantes de mes films préférés, pour n’en conserver qu’un ensemble diffus de sensations et ressentis me permettant de savoir s’ils sont assez puissants, denses, pour que je veuille les revoir avec l’espoir d’un plaisir renouvelé, des lieux qui ont compté pour moi je ne peux que dire pourquoi – ce que j’y ai ressenti, si je m’y sentais bien ou non, ce que j’y ai vécu de peurs, de désirs, de frustrations, de joies.
Pour retenir les faits et les choses, il faut que je me raconte des histoires, comme celle des grilles rouges du parc où il m’a vue pour la première ou deuxième fois sans oser venir me tirer de mon assoupissement. Les grilles du parc ne sont rouges dans mon souvenir que de m’être raconté l’histoire des grilles rouges à de nombreuses reprises. Des barrières entourant la petite étendue d’eau le long de laquelle je me suis promenée pendant des années, je ne me rappellerais, sans une photographie, ni de leur existence ni de leur apparence, seulement qu’elles appartiennent à des belles années de ma vie et à un quartier où il me plairait de revenir me promener.