Ici la description d’une photographie qui ne sera imprimée que sur papier kraft. Plan serré sur des fesses et un sexe, femme allongée sur le dos, deux doigts insérés. Ceci n’est pas un fanzine érotique, prière de se concentrer. L’image qui ne sera jamais partagée, à quoi bon la prendre ? Géométrie brute. Une bande noire sur le tiers inférieur de l’image, la robe relevée. Cliché scindé en deux par la raie. Les cuisses se prolongent sur les coins supérieurs. Un triangle conduit à un autre jusqu’au geste, quatre doigts visibles, deux soulignant les plis, deux dedans. Beauté géométrique et appel d’un désir brut après overdose de douceur. Alors nul besoin de regarder de plus près pour voir que la manucure n’est pas soignée, le geste sans trucage d’intention, l’épilation laisse à désirer au point que trop ou pas assez, chair flasque, boutons, angle non flatteur pour un goût du dégoût. Il a été fait mention des autoportraits faits pour s’exciter soi-même, tordre le corps jusqu’à se le rendre désirable. On n’en peut plus, on suffoque à la vue d’un énième cadrage pudique, des lumières délicates, des corps comme des bonbons. Les mèches de cheveux qui s’égarent autour de lèvres pulpeuses qui s’entrouvrent, des seins qui s’échappent et des tétons qui pointent quand plaire n’est qu’un coup à prendre, une question d’habitude et qu’on ne supporte plus de se voir servir des gourmandises. On aimerait pouvoir goûter des produits non transformés et les assaisonner à notre guise. On aimerait pouvoir s’exciter de toutes les cuisines possibles. On nous laisserait faire notre petite popotte dans notre coin de fantasme, sans nous vendre toujours la même marinade.
Voilà arrivé ce moment où je me prends à guetter le rouge à lèvres sur les dents plus que les ongles longs vernis avec application. Les jupes coincées dans les collants, les chemisiers dont les boutons sautent au niveau de la poitrine, les chaussures pleines de poussière, les lèvres gercées, les poils sous peau, les franges qui rebiquent. Même les tatouages ne font plus l’affaire, le mascara s’est arrêté de couler, on s’interdit les cheveux gras. J’imagine qu’il faudra mettre le désir sur pause pour prendre une douche et que le plaisir ne tâchera pas. J’en viens à débander face à ce qui est beau, à fuir ce qui me plaît le plus, déjà vu ici, déjà vu là, le regard glisse en l’absence d’aspérité. J’ai besoin d’un effort, qu’on me laisse décider, façonner mon désir. Que je puisse prendre quelques traits et recomposer avec le reste, une voix grave, une bouche charnue, que la tenue ne soit pas à mon goût pour vouloir la retirer. Rien ne tient qui ne soit un minimum construit que l’on dit. Lui montre l’exemple, il ne voit plus les regards malicieux depuis longtemps ni les efforts de présentation, il écarte les culs et déforme les seins dans ses mains, il plaque les cheveux quand il embrasse, on aurait tort de toujours s’acharner à leur donner du volume, il en a sa claque des bouches qui s’entrouvrent et voilà que bientôt je n’en peux plus non plus. Je voudrais passer mes doigts sur tout l’intérieur de tes joues, mes clichés préférés ne sont plus les vôtres, j’ai besoin d’espace, ne viens pas me dire qu’en tout contexte tu as horreur qu’il crache. Maintenant qu’un collant filé déformant des lèvres non épilées m’excite par surprise, qu’un sachet à noix emprisonne sa lourde poitrine, nous ferions l’éloge du brut qui autorise tous les possibles.
(Texte extrait de Particulière 4, à consulter ici)
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