Catégorie : textes

  • (Nous sommes ici) au marché

    Le maraîcher qui ne m’a pas vue depuis un certain temps s’exclame tout sourire « vous avez changé de coiffure ! » et je ne saurais dire à quel point il plaisante quand il dit qu’il m’a reconnue « parce que j’étais avec monsieur ». Sa fille avait pour habitude de nous dire que nous étions beaux, jusqu’à ce que je lui réponde un jour qu’elle n’était pas mal non plus. (J’aurais fait pareil.) ((Un match Tinder que je n’ai jamais rencontré m’a dit que je ressemblais à cette jeune femme qu’avec l’ex nous appelons affectueusement, entre nous, la reine des aromates.)) Je ne lui dis pas, à son père, que je suis venue avec monsieur, mais que je ne suis plus avec monsieur et que c’est pour cette raison qu’il nous voit moins, ensemble ou séparément. Pourquoi lui dirais-je ? Cet hiver, je ne voulais pas qu’il s’imagine que nous étions de ces rigolos qui ne viennent au marché que lorsqu’il fait beau. Pourquoi ne lui dirais-je pas ? Si je peux m’imaginer aimer quelqu’un d’autre, je ne parviens pas à me voir faire le marché, ce marché, avec quelqu’un d’autre et que la reine des aromates nous disent que nous sommes beaux, que nous sommes belles. Comment font celleux qui changent de vie sans changer de ville ? (Vont-ils encore au marché ?) Étrangement, j’aménage encore le balcon que je vais quitter : je crois que je lui dis « s’il te plaît, encore un bel été (quand même) ».

  • Nous sommes ici, et là le souvenir d’Arles, les souvenirs à travers Arles.

    Durant une insomnie, réserver un prochain séjour de quelques jours à Arles, pendant les Rencontres de la photographie. Est-il possible, est-il souhaitable de séparer un futur à Arles des souvenirs qui lui sont associés, directement ou non ? Il me semble que partout où je vais, partout où je suis, je cherche un peu trop consciemment à actualiser toutes celles que j’ai été partout, à mesurer des distances de moi à moi, de moi aux autres, des pensées d’alors et d’ici, et qu’en comparant je souhaite créer une continuité factice qui serait comme une place, une place dans le changement que je me rendrais ainsi, d’une certaine façon, confortable. Suis-je seulement capable d’être ici sans être là aussi ? Quand l’ai-je été pour la dernière fois ? Est-ce qu’être ici, seulement ici, se serait accepter un présent inventé dans l’instant, dont on accepterait qu’il ne puisse être lié ni aux souvenirs ni aux désirs ? Est-ce que dans le seul présent qui vaille, la conscience de soi se dissout dans l’instant ? Quand je pense à Arles, je  me formule parfois que c’est le seul endroit où je me sens à ma place – et cette place, ce ne serait pourtant pas une conscience de soi, un soi qui se sentirait confortable, mais qui s’oublierait, ne chercherait plus la continuité.

  • (Lectures)

    Nous sommes ici, à peine abrités sous ce passage couvert où le vent chargé de gouttes s’engouffre, et là il se pourrait qu’on nous imagine peu téméraires dans nos tenues estivales. Mais nous n’avons jamais peur de finir trempés, non ce n’est pas cela, chaque déluge rappelle des souvenirs de fous rires et arrive toujours un moment où l’on se délecte du désagréable, comme la sensation des orteils mouillés glissant dans des sandalettes prenant l’eau. Que se passe-t-il ici dans l’attente de l’accalmie ? Est-ce que les livres au fond du sac en toile, que l’on protège patiemment, deviennent plus précieux encore ? Non, il ne se passe rien, mais l’on sourit.

  • (D’un extrême à l’autre)

    Si ouverte qu’il me semble n’être plus qu’hors de moi, dispersée en x mouvements vers l’autre, traversée.

  • (Promener sa peine) Chaton

    J’attends encore de recevoir des cartes postales de villes, de régions, avec des chats.
    En dehors de ma famille, personne d’autre que toi n’aurait osé, sans mon invitation, faire ainsi affront à mes goûts, manquer d’élégance dans la correspondance.
    Tu m’appelais chat, chaton, et je te laissais faire ; c’était une façon comme nombre d’autres de se rappeler régulièrement nous nous autorisions ce que les convenances ne permettaient pas. Nous avions construit une relation qui n’appartenait qu’à nous, à côté de l’attendu social, en dehors même de ce que chacune de nous désirait, aimait.

    Cela, ce mouvement constant vers ce qui nous dérange, ce lien dans l’inconfort et l’indéterminé, c’était si beau que je pouvais supporter, apprécier même, la présence d’une carte kitsch sur l’étagère au dessus de mon bureau.

    (…)

    Pour cet hommage dans la durée, commencer une collection de cartes postales de villes ou de régions, comportant des chats.
    Inviter chacun.e à y contribuer, serait-ce tenter d’apaiser le manque, ou l’entretenir ? Pour moi, c’est un hommage aux liens qui se nouent hors des attentes.

    ___

    Pour Chaton, hommage au long cours (Promener sa peine)

  • (Nous sommes ici) 1. Motif(s)

    Quand et pourquoi est-ce qu’un jour, je me mets à remarquer les serpents de bitume sur mon chemin ? Comment est-ce que, soudain, je vois ce que je n’avais jamais vu avant ? – c’est probablement de cette question dont je ne me débarrasse pas lorsqu’après avoir vu pour la première fois, je ne cesse de m’émerveiller à chaque nouvelle vision du motif. Il me semble à présent que chaque fois que je prête attention à ces coulées noires aux formes aléatoires, je suis en train de me réjouir de n’avoir pas de réponse à cette question et ses voisines : à quoi ne prête-je pas attention pour l’instant ? Quelle est l’étendue, la nature, l’importance de ce que je vais bien finir par découvrir ? Les remarquer à nouveau, m’étonner encore, précisément pour ne pas oublier la question.

    (Autres motifs : la valériane, les tables de ping-pong publiques, les forsythias, les pare-soleil argentés sur les pare-brise)

  • (ARCHIVE) extrait de Particulière 5

    Aujourd’hui, mise à jour de la page d’accueil et de contact.

  • 24.01.24 pour « Chambres à part ».

    Numérisation de tirage argentique, série « Chambres à part » (2020-2023)

    Au coucher tes pensées traversent le couloir par satellite, il est question d’images, de mouvement, de vérités. Nous, c’est peut-être bien le monde et pas une représentation, mais je suis fatiguée, trop fatiguée à cette heure-ci pour que m’amuse encore de mesurer le couloir.

  • Bûcheronneries

    J’écris à la mère des mots qui m’auraient anéantie si j’avais été la mère. Un peu plus loin, elle répond « merci pour ce moment ».
    (Et alors il me semble que j’ai appris à marcher sur un sol qui se dérobe et que qui me qualifie de robuste n’a peut-être pas tort : je tombe à chaque pas, oui, mais je tiens debout dans le doute.)

  • mardi 24 octobre 2023

    De la difficulté d’être là et seulement là. (De la beauté de.)