Catégorie : textes

  • (Ici) 48bis. Exercice – les yeux de l’autre

    Alfred Latour, les Saintes-Maries-de-la-mer (1957)

    Quand je parcours pour la première fois, sans lui, le musée des beaux arts de cette ville que nous avons découverte ensemble, je ne peux m’empêcher de m’arrêter devant ce qui l’aurait interpellé. Cette couleur que mes yeux fuient d’ordinaire, je m’y arrête assez longtemps, je l’affronte jusqu’à ne plus voir, comme lui, que les formes et le travail de simplification de l’ensemble. Si les références me manquent, je pressens l’attrait qu’il aurait sur qui s’intéresse aussi au graphisme, à la mise en page, et le tout  – dont je ne sais pas grand chose – dans lequel il pourrait s’insérer pour un(e) autre que moi.

    Parfois il me semble qu’il faudrait être capable d’aimer tout le monde pour tout remarquer de ce qui se présente à nous, et pour imaginer sans limite.

    Documentaire de 16 minutes sur Alfred Latour

    Visionné dans l’exposition « Alfred Latour, regard sur la forme » au Musée Réattu dans le cadre des Rencontres de la photo d’Arles

  • (Ici) 48. Exercice – les yeux de l’autre

    Dans un lieu d’exposition, une librairie, une ressourcerie, les rues d’une ville, en regardant tout autant avec notre regard que celui des personnes aimées, nous ne nous promènerions plus jamais seuls.

    Accompagné(e)s de la pensée de nos amitiés et de nos désirs, tout serait remarquable au delà de nos centres d’intérêt, de nos goûts propres, de nos ressentis. Ainsi nous vivrions des moments de solitude qui n’auraient pas la pesanteur d’un moi conforté, mais l’ouverture des mondes superposés.

  • (Ici) 46. Catherine et les avions

    En séjournant, cet été, deux semaines dans le village où habite (une partie de) ma famille, je retrouve le bruit, très présent, des avions militaires. Je me fais la remarque que n’y ayant passé que peu de temps adulte, j’avais complètement occulté de ma mémoire cet élément du décor, où j’ai pourtant passé tous mes étés enfant. Il faut dire qu’à l’époque je vivais moi-même dans un village pourvu d’une base de l’armée de l’air et que ces vols rythmaient mon quotidien. Je me souviens qu’en terminale, ayant déménagé en ville, je pus constater l’effet de surprise que produisait sur mes nouveaux camarades ce son familier : à la première occurrence, ma nouvelle meilleure amie s’était abritée sous le bureau que nous partagions, et moi qui avais toujours été jusque là une élève discrète, j’avais éclaté de rires. Ici semblait commencer ma vie d’adulte, à seize ans et demie, hors du bruit de l’autorité.

  • (Ici) 31. conditionnel


    Elle s’autorisait à m’écrire, sur la carte postale d’une ville, ses souvenirs d’un autre lieu.

  • (Ici) 27. salle 5*


    Par une journée de chaleur étouffante, je me rends à vélo dans un de mes deux cinémas préférés de Grenoble, pour la séance du soir. Je suis si peu vêtue qu’il me semble être nue, pourtant dans cette toute petite salle de cinéma l’indécence me paraît venir de ces pieds nus posés sur les fauteuils. J’envie quelque peu ce laisser aller frôlant l’impolitesse dont je ne suis pas familière, et je sais déjà que de ce sentiment naît un geste que je reproduirai pour revenir dans cette salle, cette moiteur, dans l’esprit de ce film.

  • (Nous sommes ici) au marché

    Le maraîcher qui ne m’a pas vue depuis un certain temps s’exclame tout sourire « vous avez changé de coiffure ! » et je ne saurais dire à quel point il plaisante quand il dit qu’il m’a reconnue « parce que j’étais avec monsieur ». Sa fille avait pour habitude de nous dire que nous étions beaux, jusqu’à ce que je lui réponde un jour qu’elle n’était pas mal non plus. (J’aurais fait pareil.) ((Un match Tinder que je n’ai jamais rencontré m’a dit que je ressemblais à cette jeune femme qu’avec l’ex nous appelons affectueusement, entre nous, la reine des aromates.)) Je ne lui dis pas, à son père, que je suis venue avec monsieur, mais que je ne suis plus avec monsieur et que c’est pour cette raison qu’il nous voit moins, ensemble ou séparément. Pourquoi lui dirais-je ? Cet hiver, je ne voulais pas qu’il s’imagine que nous étions de ces rigolos qui ne viennent au marché que lorsqu’il fait beau. Pourquoi ne lui dirais-je pas ? Si je peux m’imaginer aimer quelqu’un d’autre, je ne parviens pas à me voir faire le marché, ce marché, avec quelqu’un d’autre et que la reine des aromates nous disent que nous sommes beaux, que nous sommes belles. Comment font celleux qui changent de vie sans changer de ville ? (Vont-ils encore au marché ?) Étrangement, j’aménage encore le balcon que je vais quitter : je crois que je lui dis « s’il te plaît, encore un bel été (quand même) ».

  • (Ici) 2. Arles

    Durant une insomnie, réserver un prochain séjour de quelques jours à Arles, pendant les Rencontres de la photographie. Est-il possible, est-il souhaitable de séparer un futur à Arles des souvenirs qui lui sont associés, directement ou non ?

    Il me semble que partout où je vais, partout où je suis, je cherche un peu trop consciemment à actualiser toutes celles que j’ai été partout, à mesurer des distances de moi à moi, de moi aux autres, des pensées d’alors et d’ici, et qu’en comparant je souhaite créer une continuité factice qui serait comme une place, une place dans le changement que je me rendrais ainsi, d’une certaine façon, confortable.

    Suis-je seulement capable d’être ici sans être aussi ailleurs, simultanément ?
    Quand l’ai-je été pour la dernière fois ? Est-ce qu’être ici, seulement ici, se serait accepter un présent inventé dans l’instant, dont on accepterait qu’il ne puisse être lié ni aux souvenirs ni aux désirs ? Est-ce que dans le seul présent qui vaille, la conscience de soi se dissout dans l’instant ? Quand je pense à Arles, je  me formule parfois que c’est le seul endroit où je me sens à ma place – et cette place, ce ne serait pourtant pas une conscience de soi, un soi qui se sentirait confortable, mais qui s’oublierait, ne chercherait plus la continuité.

  • (Lectures)

    Nous sommes ici, à peine abrités sous ce passage couvert où le vent chargé de gouttes s’engouffre, et là il se pourrait qu’on nous imagine peu téméraires dans nos tenues estivales. Mais nous n’avons jamais peur de finir trempés, non ce n’est pas cela, chaque déluge rappelle des souvenirs de fous rires et arrive toujours un moment où l’on se délecte du désagréable, comme la sensation des orteils mouillés glissant dans des sandalettes prenant l’eau. Que se passe-t-il ici dans l’attente de l’accalmie ? Est-ce que les livres au fond du sac en toile, que l’on protège patiemment, deviennent plus précieux encore ? Non, il ne se passe rien, mais l’on sourit.

  • (D’un extrême à l’autre)

    Si ouverte qu’il me semble n’être plus qu’hors de moi, dispersée en x mouvements vers l’autre, traversée.

  • (Promener sa peine) Chaton

    J’attends encore de recevoir des cartes postales de villes, de régions, avec des chats.
    En dehors de ma famille, personne d’autre que toi n’aurait osé, sans mon invitation, faire ainsi affront à mes goûts, manquer d’élégance dans la correspondance.
    Tu m’appelais chat, chaton, et je te laissais faire ; c’était une façon comme nombre d’autres de se rappeler régulièrement nous nous autorisions ce que les convenances ne permettaient pas. Nous avions construit une relation qui n’appartenait qu’à nous, à côté de l’attendu social, en dehors même de ce que chacune de nous désirait, aimait.

    Cela, ce mouvement constant vers ce qui nous dérange, ce lien dans l’inconfort et l’indéterminé, c’était si beau que je pouvais supporter, apprécier même, la présence d’une carte kitsch sur l’étagère au dessus de mon bureau.

    (…)

    Pour cet hommage dans la durée, commencer une collection de cartes postales de villes ou de régions, comportant des chats.
    Inviter chacun.e à y contribuer, serait-ce tenter d’apaiser le manque, ou l’entretenir ? Pour moi, c’est un hommage aux liens qui se nouent hors des attentes.

    ___

    Pour Chaton, hommage au long cours (Promener sa peine)